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Venice Nights (and Days)

In clogs with Ansel H. Faraj

Contrairement aux idées reçues, les réseaux sociaux n’ont pas que du mauvais. C’est par notre fil d’actualité Facebook (désolés) que nous avons découvert, à huit ou neuf fuseaux horaires de Paris, l’existence d’un cinéaste indépendant comme nous les aimons. Stakhanoviste, lucide, passionné, Ansel H. Faraj vient de la série B. policière et fantastique. Sa sensibilité, son âge, sa façon bien à lui d’enchaîner les tournages comme d’autres enquillent les mojitos pendant un happy hour le rapprochent forcément un peu, au choix, d’un Xavier Dolan ou – un bon cran au-dessus – d’un R. W. Fassbinder « première période » (ce qui est bien), là où sa façon de travailler rappelle davantage la méthode adoptée, depuis dix ou quinze ans par notre contributeur occasionnel – ou pas – Paul Vecchiali (ce qui est mieux)..

Ansel H. Faraj tourne ses films en état d’urgence, à l’arrache, sans financements extérieurs ni dépenses superflues. À l’instar de l’auteur-réalisateur du Cancre et des Sept Déserteurs, il tourne la quasi-totalité de ses films à l’endroit où il vit (Venice Beach comme alternative au Plan-de-la-Tour), et les tourne « en famille ». Son Astrid Adverbe se nomme Christine Tucker, et force est de reconnaître qu’elle se montre absolument épatante de la première à la dernière bobine de ce Will & Liz visionné un peu par hasard. Comme se montrent absolument épatants, film après film, ses deux acteur-fétiches, l’impressionnant Nathan Wilson, « frère de cinéma » plus qu’à proprement parler alter ego du jeune prodige que l’on sait, et l’incroyable Eric Gorlow, sorte de preuve par neuf vivante du fait que l’on peut parfaitement être, de manière tout à fait simultanée, un des huit ou dix comédiens les plus hot du monde et un merveilleux interprète. Nous avons d’ailleurs presque exactement le même en France et en Allemagne : il se nomme Pierre Emö.

Il y a quelques mois de cela, après de nombreux échanges sous forme de messages privés, Ansel H. Faraj, mis en confiance, nous a fait parvenir le lien privé permettant de visionner dans son intégralité – ce d’ailleurs avant le reste du monde – la version quasi définitive de sa première comédie romantique. C’est peu dire que Will & Liz nous a cueillis, peut être plus encore en raison de ses indéniables qualités d’écriture – il s’agit bien, de toute évidence, d’un vrai film d’auteur – que par la beauté avérée de ses extérieur-nuits ou sa direction d’acteur au cordeau.

Depuis l’interview extremely long drink réalisée au tout début de l’été 2018, Will & Liz a vécu sa vie d’OVNI cinématographique, entre festivals indépendants, exploitation en salles pour l’heure limitée à la seule Californie et diffusion, à une plus grande échelle, via les plateformes de téléchargement légal habituelles. Il n’est donc pas très difficile à retrouver sur la Toile. Et, pour l’avoir revisionné juste avant publication, il est toujours aussi excitant – sinon plus – que lorsque nous l’avons découvert, au printemps dernier.

Commençons – si tu le veux bien – par le commencement, et donc par la question la plus pertinente et la plus stupide à la fois, relative à ton dernier film. Comment présenter et/ou résumer Will & Liz sans buter sur l’écueil du spoiling ?

Will & Liz est la love story, tournée dans un Venice Beach irradié, bigarré, éclatant de lumière, entre un artiste frustré et misanthrope répondant au prénom de Will et un « esprit libre » venant de débarquer de l’Orégon et se prénommant Liz. Il se produit une connexion instantanée entre les deux, et ils deviennent instantanément « dépendants » l’un de l’autre. Et donc, Will tombé éperdument de Liz, se pose de la question de savoir si elle pourra payer son amour de retour tout en essayant de trouver sa place dans le monde. Un monde plus vaste que Venice Beach.

Autant Liz apparaît d’emblée comme une lumineuse personne, Will n’apparaît peut-être pas tant comme un misanthrope, mais, par moments, comme un personnage semi-autiste. La première question est donc : « ai-je tort de penser ça ? », et la seconde : « estimes-tu que tous les artistes sont, à des degrés divers, inadaptés face à la « vraie vie » ? », et, partant, incapables d’altérité relationnelle, où est-ce uniquement le cas de ton protagoniste masculin ?

Je ne perçois pas Will comme un semi-autiste. Mais tu n’es cependant pas le premier à soulever l’idée qu’il souffre d’une forme d’autisme. La question s’est posée lors de la première présentation du film à Hollywood. Will est certes, à la fois, très timide et très introverti, qui a enchaîné les échecs et, d’une certaine manière, raté sa vie. Il regrette sa décision d’avoir quitté l’Allemagne pour retourner vivre en Amérique. Il passe le plus clair de son temps seul, et a conséquemment des difficultés à s’exprimer de façon assertive. Après sa rencontre avec Liz, il découvre qu’il est, lui aussi, capable de vivre, de communiquer, de s’exprimer, un peu comme si elle l’aidait à accoucher de choses qui étaient profondément enfouies en lui, et dont il ne soupçonnait pas l’existence. Pour le reste, je suis totalement incapable de te répondre sur la capacité, ou l’incapacité, à s’adapter aux autres des « artistes en général ». J’imagine que chaque artiste est à la fois unique et un peu – légèrement – étrange à sa manière. C’est pour cette raison que nous sommes des artistes : une légère étrangeté !

Je peux très bien concevoir que certaines personnes – dont moi – puissent percevoir Will différemment de la façon dont tu l’as imaginé, quand bien même la formulation « semi-autiste » serait exagérée. En fait, c’est surtout que, face à Liz, qui incarne si bien la notion de « mouvement perpétuel », Will n’apparaît pas seulement comme un être introverti, mais aussi – surtout – comme quelqu’un qui éprouve une forme de difficulté à évoluer. Symptomatiquement, il s’habille, se chapeaute et se chausse exactement à l’identique, ou presque, du début à la fin, un peu à la manière d’une personne qui préférerait mourir sur place plutôt que de (se) changer, ou même de simplement envisager de le faire. À cette (grosse) nuance près qu’effectivement, suite à sa rencontre avec Liz, il accepte de briser sa solitude.

C’est beaucoup lié au fait qu’il s’accroche à sa « personnalité européenne ». Il cultive ça, sa mémoire le ramène sans cesse en Europe, il est arrivé à un point de sa vie où son appartenance au Vieux-Continent lui permet de se définir. Il a échoué en tant qu’artiste, il ne fait rien de sa vie, il se ne vit qu’en fonction de son passé. Et puis, il fait la connaissance de Liz.

De facto, Will n’est pas très heureux à Venice Beach, à cause de son passé et de ses souvenirs, et d’un autre côté, Liz n’est pas très heureuse à Venice Beach non plus, mais pour d’autres raisons. C’est drôle, parce que tu donnes à voir une vision de ce lieu radicalement opposée à celle qui émanait de tes précédentes réalisations, et en même temps, le résultat final est à peu près identique : Venice apparaît à la fois comme une endroit pour vivre idyllique et fascinant… et comme le dernier endroit au monde où il fait bon vivre.

Je crois que ce n’est pas tant Venice Beach que Los Angeles qui me pose problème. Il y a de très nombreux quartiers à LA – dont Venice - , mais la ville en sa globalité est écrasante et décourageante. Elle est tellement vaste et, d’une certaine manière, étirée. N’importe quel lieu y est théoriquement accessible en vingt minutes, mais tu mets plus d’une heure pour y parvenir, à cause des gens, du grouillement humain perpétuel. En fait, tout est fake à LA, exceptées les couchers de soleil. C’est cela, et cela seul, qui attire les gens : la plage à l’heure du coucher de soleil. Et donc oui, Will comme Liz sont mal à l’aise à Los Angeles.

De façon plus intime, est-ce un endroit où tu conçois de passer le reste de ton existence, où une ville que tu prévois à terme de quitter, comme Liz est, à moment donné, supposée le faire ? Parce qu’en même temps, si tu les artistes qui, à ton instar, estiment que tout est fake à LA quittaient LA, il ne resterait plus grand monde à LA, et a fortiori à Hollywood, depuis un bail…

Oui, mais LA est ma ville natale. J’adore New York, Londres, et même Paris, mais c’est ma ville natale. Je n'y peux rien : c’est comme ça.

Généralement, quand un cinéaste, qu’il soit homme ou femme, consacre un film entier à un ou une artiste, quel que soit le domaine de prédilection de l’artiste en question, la plupart des spectateurs estiment qu’il ou elle est forcément l’alter ego de l’auteur, du réalisateur ou des deux à la fois quand il s’agit – comme ici – d’une seule et même personne. Et donc, considères-tu objectivement Will comme ton alter ego, comme un non-alter ego… ou bien comme les deux à la fois ?

Est-ce que Will est moi ? Hmmm… Il y a pas mal de choses en lui qui viennent de moi, oui, mais c’est tout aussi vrai pour le personnage de Liz, en fait. Il y a par ailleurs énormément de choses, chez les deux personnages, empruntées à Nathan [Wilson], mon coscénariste et principal interprète masculin, dans la mesure où nous avons écrit le film à quatre mains. Will n’est pas vraiment moi, mais c’est une part de moi. Je pourrais dire exactement la même chose du détective Adam Sera, et même du docteur Mabuse : ce sont aussi des parts de moi. En tant qu’auteur, tu crées tes personnages à partir d’air, de choses intangibles, qui n’existent pas vraiment. Donc, forcément, à un moment donné, tu es obligé de leur insuffler quelque chose qui relève de ta propre existence, pour leur permettre de s’incarner.

En France, de nombreux cinéphiles plébiscitent les réalisateurs à dominante tyrannique, passés maîtres dans l’art de transformer un plateau en antichambre de l’enfer. Ils sont beaucoup trop nombreux pour être cités ici, à moins de vouloir y passer la semaine entière. À l’opposé de cette façon de faire, Will & Liz ferait plutôt penser à une aventure collégiale, basée sur le respect pendant l’élaboration et les prises de vues. Le public français va détester !

Une aventure collégiale, oui. Une aventure vécue à trois – moi-même, Nathan Wilson et Christine Tucker – durant tout le mois de juin 2017, nous trois, chaque jour, fabriquant ce film à trois, sans argent et sans véritable équipe. Juste nous trois. Du coup, cela a constitué à la fois ma plus belle expérience cinématographique... et le plus bel été de toute ma vie.

C'est bien ce qu’il me semblait. Tu n’auras jamais de succès auprès de la fan base de Catherine Breillat ou d’Abdelatif Kechiche. C’est une très bonne chose.

J’estime que tu es là pour faire le job. Pour tourner ton film. Point à la ligne. Qu’as-tu à gagner en intimidant ou en tyrannisant tes collaborateurs ? Fais ton travail, réalise ton film et prends du plaisir à le faire. Ou alors, exerce un autre métier !

Nathan Wilson, et, de façon plus anecdotique – en tout cas ici – Eric Gorlow, qui apparaît dans deux séquences muettes ultrarapides, font figure à la fois de vieux compagnons de route et de raisonnablement jeunes, compagnons de route. Qu’en est-il de l’incroyable Christine Tucker ?

Elle a lu le rôle – une seule fois – et c’était, déjà, Liz. Elle était la première actrice à avoir auditionné pour le rôle, et environ soixante autres actrices lui ont succédé, mais durant l’entière durée du casting, nous – Nathan et moi – ne retenions que sa lecture. Et donc, en toute logique, elle a décroché le rôle. Le plus drôle, c’est que les choses ne se passent jamais ainsi : le premier acteur à auditionner pour un rôle, n’est généralement jamais engagé, ce doit être le Sort qui veut ça. Mais là, Christine était de toute évidence faite pour interpréter Liz. C’est une mine d’or et de talent, une des personnes au monde que je préfère, et un être que je m’estime particulièrement heureux, du point de vue humain, d’avoir rencontré.

Elle me fait penser à une sorte d’OVNI cinématographique parfait et absolu, capable de faire preuve à la fois d’une sensibilité extrême et d’une précision de jeu inouïe.

À mes yeux, elle se situe exactement au même niveau que Julie Christie. Le top en terme de jeu d’actrice.

A-t-elle été aussi impliquée que Nathan dans le processus d’écriture, ou a-t-elle, a contrario, pris le train en marche ?

Elle a sauté dans le train en marche !

C’est toujours mieux que d’avoir sauté du train en marche, je crois.

Nous la voulions, Nathan et moi, parce qu’elle n’a jamais cherché à faire de Liz une mauvaise personne ou une salope de service. En ce sens, elle nous a beaucoup aidé. Dans la version initiale du scénario, Liz était une personne beaucoup plus froide qu’elle ne l’est dans le film tel que tu as pu le découvrir. Christine n’est jamais allée dans le sens de la froideur, elle s’est plutôt attachée aux fêlures du personnage, ce qui était peut-être l’intention de départ, même si nous n’en n’avions pas complètement conscience. L’autre chose essentielle que Christine a amené au film, et qui n’était pas dans le script d’origine – spoiler – est le retour (théorique) de Liz à la toute fin. En fait, l’idée première était surtout d’insister sur sa difficulté à gérer au quotidien sa relation amoureuse à Will. Et c’est là que Christine, qui était déjà à bord du train en marche, pour reprendre ton expression, a ravitaillé la locomotive. Ou fait le plein d’essence, si tu préfères. La séquence de rupture entre les deux protagonistes a été mise en boîte à la toute fin du tournage, comme prévu, mais un mois entier passé au quotidien avec Christine a laissé des traces et j’ai voulu que la toute fin du film laisse le même espace à Liz et à Will, et non plus au seul Will. Ces choses-là arrivent plus qu’on ne le croit, au cinéma. Le scénario est juste un plan de travail, à mes yeux, quelque chose quoi n’est là que pour donner les principales lignes directrices. Une fois le tournage commencé, j’aime par-dessus tout prendre des libertés avec.

En fait, tu es juste en train de me dire que le fait de tourner sans argent t’a octroyé un luxe que l’industrie hollywoodienne refuse généralement aux réalisateurs établis.

En fait non. Je dirais au contraire que les scénarios produits par les majors hollywoodiennes évoluent en permanence. Prends l’exemple de Justice League. En revanche, crois-moi, j’aimerais pouvoir bénéficier de budgets un peu, et même beaucoup plus élevés. Mais là où je suis pleinement d’accord avec toi, c’est dans le fait qu’être un réalisateur indépendant procure une plus grande liberté de création. Après, oui, le manque total de ressources est pénible en soi. On va dire que nous aurons fait en sorte d’avancer malgré ça, ou avec ça.

Est-il indiscret de te demander comment tu parviens à tourner en moyenne un long-métrage par an avec zéeo budget ? Il y a un seul cinéaste de moins de trente ans au monde à pouvoir faire ça, sauf que lui, il bénéficie d’énormes budgets et d’une couverture médiatique en rapport, et c’est Xavier Dolan. Pardon pour la comparaison, au fait.

Nous avons tout fait avec rien. Dans un tel contexte, on a intérêt à savoir se montrer particulièrement créatifs !

Les choses sont-elles censées évoluer à terme, par exemple si Will & Liz concourt dans des festivals, ou par le biais d’un achat-diffusion par Netflix ?

Pour l’instant, nous sommes toujours dans l’attente de retour de programmateurs de festivals et d’éventuels distributeurs. Le processus est long, mais nous espérons une sortie en octobre prochain, du moins en Californie.

S’il n’est pas prématuré de te poser la question, comment envisages-tu tes prochains films ? Comptes-tu poursuivre dans la veine dramatique explorée par Will & Liz – même si au fond ce n’est pas exactement un mélodrame – ou, a contrario, renouer avec ce que j’appellerais ta « veine noire », moitié-Edgar Allan Poe, moitié-docteur Mabuse ?

Ta question n’est pas du tout prématurée. Je viens, pas plus tard qu’hier soir, de terminer Crypto, qui est une sorte de drame autour du péril que représentent les monnaies vortuelles. Et en juin, je me lance dans le tournage du nouveau film de la série Detective Adam Sera – assez différent, dans la forme, des opus précédents. Ensuite, en septembre, j’attaque un nouveau film d’horreur, tourné dans le Minnesota, dont Nathan et moi devons réécrire le scénario la semaine prochaine. Et bien sûr, le docteur Mabuse ne va pas tarder à effectuer son grand retour !

Sincèrement désolé d’avoir parlé de « un film par an ». Je crois que Xavier Dolan est définitivement enterré. Paix à ses cendres.

En fait, Crypto et le nouvel opus de Detective Adam Sera sont tous les deux des courts-métrages – et le film d’horreur, qui lui sera un long, ne sortira qu’en 2019. Et Dolan a déjà empoché plus d’argent que je n’en toucherai jamais jusqu’à la fin de de mes jours !

J’imagine que le fait qu’il ait un partenariat en cours avec Louis Vuitton, plutôt qu’avec « Hello Pollo », y est aussi pour quelque chose, non ?

Cela tient surtout au fait que sa famille était déjà dans l’industrie cinématographique. La mienne, non. Être né dans le système peut aider. Dans le cas contraire, tu dois tracer ta route pour l’intégrer, ce que nous faisons, Nathan et moi.

Tes acteurs-fétiches – Nathan, Eric et, maintenant, Christine – sont pour l’instant de parfaits inconnus en France. Ont-ils déjà eu l’occasion de travailler pour l’industrie hollywoodienne, ou sont-ils encore labellisés independant movie players ?

Si tu me demandes si ce sont des acteurs de studios, la réponse est, clairement, non. Ou plutôt : non, pas encore. Mais s’il s’agit de savoir s’ils ont déjà travaillé dans des productions plus importantes que les miennes, la réponse est moi. Eric et Nathan ont déjà tourné, par le passé, dans des films à budgets conséquents. Et Christine vient de la scène théâtrale new-yorkaise. Et donc oui, d’une certaine manière, ni les uns ni les autres ne sont totalement estampillés indie players.

Au-delà du fait que tu as engagés sur Will & Liz des acteurs-maisons de ton cinéma, ou, dans le cas de Christine, en passe de le devenir, considères-tu ce film plutôt comme une pause cinématographique, un film de rupture ou les deux à la fois ?

J’ai réalisé ce film parce que je devais le tourner, point à la ligne. Je me souviens très clairement du fait que, le premier jour du tournage de Doctor Mabuse: Etiopomar, en juin 2013, je m’étais dit que j’avais vraiment envie de tourner – un jour – une vraie romance amoureuse. Mais à cette époque, j’en avais seulement le désir. Il me manquait les personnages, et aussi, surtout, l’ambition ou la volonté d’aller au-delà de la seule envie. Ensuite, thriller après thriller, mon désir de tourner dans un avenir plus ou moins rapproché, un film qui ne soit ni sombre, ni violent n’a cessé d’aller crescendo, au point que j’ai fini par me détacher – provisoirement – de ce registre cinématographique, qui ne m’excitait plus et dans lequel je n’avais plus envie de m’investir. Mon besoin de changer d’air s’est fait de plus en plus impérieux, et c’est là que j’ai commencé à discuter sérieusement avec Nathan du projet Will & Liz. Après le tournage, j’ai éprouvé un sentiment très particulier, un peu comme un total changement dans la donne : le fait d’avoir réaliser ce film m’a secoué, m’a rechargé, probablement parce que l’exercice était totalement nouveau pour moi, et aussi parce qu’il y avait de nombreux éléments que je rêvais depuis des années d’injecter dans mes réalisations, à commencer par l’idée une romance contemporaine située à Venice. Dans le fond, je me dis que j’ai attendu d’avoir atteint la maturité émotionnelle qui me faisait encore défaut pour pouvoir capturer ces sentiments avec précision et, ensuite, les restituer à l’écran. J’estime que ce film et tout ce qu’il nous a permis de vivre, Nathan et moi, a influencé la suite de notre « cahier des charges », ne serait-ce qu’à travers les émotions qu’ils nous aura permis de traverser ou les défis qu’ils nous aura permis de relever. Chaque film nous affecte et nous transforme, d’une manière ou d’une autre, et Will & Liz nous a marqués, sinon transformés. Ni Nathan, ni Christine, ni moi, ne redeviendront jamais les personnes que nous étions avant de faire ce film. Il a agi sur nous trois de manière très profonde.

Continuons alors sur le terrain des personnes ou des choses qui changent en profondeur. Un point que j’ai particulièrement relevé, et qui m’a rendu encore plus admiratif à l’égard de ton univers, tient au fait que le malaise qui jaillit entre Will and Liz aux deux tiers du film jaillit de façon extrêmement abrupte, que vous suggérez, tes interprètes et toi, par le biais d’une nanoséquence quasiment muette et dépourvue de toute forme d’explication. Aucun spectateur, il me semble, n’est en mesure de prévoir ce retournement de situation, ne serait-ce qu’une minute avant…

Oui, absolument ! Le silence dit tout. Après autant de dialogue, ils deviennent brusquement silencieux, et c’est effectivement de très mauvais augure. Du coup, on commence à s’inquiéter pour eux, parce qu’à ce stade du film, on éprouve déjà de l’affection pour eux.

Est-ce à dire qu’à plus ou moins brève échéance, tu prévois de bisser dans le registre comédie romantique et psychologique ?

En fait, je n’ai jamais prévu de me cantonner à tel ou tel genre cinématographique, qu’il relève du fantastique ou du thriller, j’ai toujours envisagé ce métier comme une exploration d’un champ des possibles de plus en plus vastes. Partant de là, la perspective d’une nouvelle love story m’excite d’ores-et-déjà beaucoup, tout en sachant qu’une love story peut revêtir mille et mille formes différentes. Je sais déjà qu’un jour, je tournerai ma propre version du Fantôme de l’Opéra, qui est à la base une vraie histoire d’amoiur. J’ai également le projet à terme d’une suite de Will & Liz, histoire de voir – cela vaudra aussi, naturellement, pour le spectateur – ce que sont devenus les personnages, X années plus tard.

Dans la mesure où l’un des aspects les plus emblématiques de ce film réside dans sa fin ouverte, ce serait assez logique, en somme. Au fond, chaque spectateur reste responsable de sa perception intime – ou de son intuition – des choses, face au dénouement, vrai ou supposé. Formulé autrement, il est le seul à pouvoir établir ce qui se produit – ou pas – entre les deux protagonistes une minute avant la fin. Laisser la décision finale au spectateur est parfois considéré comme une marque de démagogie pure, mais selon moi, ici, ce serait plutôt une preuve de grande intelligence cinématographique. En fait, de ce strict point de vue, Will & Liz apparaît comme un prodige de refus du didactisme, ou comme un prototype parfait d’œuvre non-dogmatique. Cette façon profondément dialectique d’appréhender les choses est extrêmement rare, au cinéma. Au théâtre ou en littérature aussi, d’ailleurs…

Je confirme : nous avons eu l’intention de privilégier une fin ouverte à toutes les interprétations possibles et imaginables, et, de plus, nous avons pris énormément de plaisir à cela, parce que cela implique le spectateur, parce que cela l’oblige en quelque sorte à participer, à puiser dans les ressources de son imaginaire, et, comme tu le soulignes, à décider seul du dénouement, et de ses conséquences sur le devenir à court terme des personnages. Notre démarche consistait en tout et son contraire, mais certainement pas dans la production d’un « film sur mesure », laissant le spectateur, au choix, passif, non impliqué directement, ou même indifférent. Même si la fin du film le déçoit, ou le met en colère, il se retrouve face à une émotion vraie. D’une certaine manière, Will aussi se montre, à ce moment-là, à la fois triste et en colère. Il doit se forger sa propre opinion : cela vaut-il la peine de revenir vers elle, ou cela fait-il mal et le rend trop furieux? Il doit choisir. Le spectateur aussi. Sincèrement désolé si j’ai spoilé le film.

Aucune importance. Merci à toi.

Ce fut un plaisir.

Propos recueillis et traduits par Morel De Méral.

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