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L'Album de la Comtesse

ou

Les Petites Filles merdeuses

(Roman-feuilleton # 02) 

par Terence Telleny

Chapitre II.

Camille fit sa première communion l’année d’après, Madeleine un an plus tard : elles restèrent bonnes et charmantes (et niaises) comme nous les avons vues dans Les Petites Filles Modèles, elles se marièrent très bien et furent aussi heureuses qu’on peut l’être après avoir fait la désagréable découverte que son mari en est irréversiblement. Pour être tout à fait honnête avec nos lecteurs, on précisera que les deux beaux-frères – l’époux de Camille et celui de Madeleine – étaient déjà plus ou moins maqués ensemble au moment où ils convolèrent avec les deux sœurs, à seule fin d’empocher leurs dots respectives, estimées à quelques centaines de millions de francs-or chacune. L’essentiel du magot croqué de conserve, dès le lendemain d’une double nuit de noces relativement décevantes (du moins en ce qui concerne Camille et de Madeleine, leurs époux ayant cru devoir se murger à mort avant d’accomplir leur devoir conjugal du bout des lèvres et du reste), dans les rares bordels pour invertis de la région et le reste sagement investi dans l’achat d’un luxueux riad du côté de Marrakech, les deux compères déguerpirent sans demander leur reste, tandis que leurs ex-femmes, déshonorées aux yeux de la bonne société locale, s’enfermaient à Fleurville pour ne plus jamais en sortir. Confites dans leur rancœur, devenues de plus en plus bigotes, donc aigris, au fil ds ans, elles disparurent, l’une et l’autre, presque nonagénaires, lors des règlements de comptes semi-improvisés qui firent suite au débarquement allié en Normandie. Pour justifier leur double et arbitraire exécution, on prétendit, à tort ou à raison, qu’elles avaient dénoncé des familles juives par dizaines, et aussi quelques résistants, à l’Occupant en échange de tickets de rationnement. Camille, on le sait, avait toujours été un peu gourmande, et les choses ne s’étaient pas arrangées avec l’âge. Madeleine, la ménopause venue (et rien n’est pire, la chose est connue, qu’une ménopause de vierge attardée), avait suivi en tous points l’exemple regrettable fourni par son aînée. Leur voracité leur fut fatale, et personne, dans toute la population normande, ne les regretta.

Sophie devint, en grandissant, de plus en plus semblable (!) à ses amies, dont elle ne se sépara qu’à l’âge de vingt ans, lorsqu’elle épousa Jean de Rugès. Ses années d’enfance passées sous la férule de l’odieuse Madame Fichini lui ayant transmis à vie le goût des verges, elle mis un point d’honneur à répéter sa nuit de noces en s’offrant successivement à tout ce que les châteaux de Fleurville et de Rosbourg pouvaient comporter de personnel domestique mâle. Valets, laquais, cochers, palefrenier, fermiers, tous y passèrent, tous en redemandèrent et tous se félicitèrent d’avoir redemandé. La future mariée y gagna, pour cinq ou six décennies, le surnom pérenne de « Sophie la Goulue », mais comme elle était brave fille par nature et pas plus bégueule qu’une autre, elle eut la sagesse – d’ailleurs, « sagesse » se dit sophia en grec – de prendre cela pour un compliment. Son mari, ayant de soin côté enterré sa vie de garçon dans un boxon de la rue Trudaine en compagnie, notamment, d’une femme à barbe épileptique et d’une naine vicieuse (ou l’inverse), en rapporta une méchante maladie qu’il transmit à son épouse lors de leur nuit de noces. L’enfant qui en résultat naquit de constitution chétive, complètement hydrocéphale et parfaitement anormal, de sorte que ses parents furent obligés de s’en débarrasser en faisant jeter, aux environs de son quatrième mois, dans la rivière la plus proche. Pour la bonne forme, ils prétendirent que le cher petit leur avait été volé par des bohémiens, suite à une négligence de sa gouvernante, qui fut renvoyée séance tenante, sans indemnités ni préavis, et courut de désespoir se jeter dans le premier puits venu. Ayant on ne sait comment contracté le typhus au cours des semaines ayant précédé son renvoi, la brave (?) femme en empoisonna l’eau post mortem et fut de fait l’unique responsable, involontairement il est vrai, de l’épidémie qui décima la Normandie entière au cours des mois qui suivirent son égoïste suicide.

Parmi les principales victimes figurèrent dans leur quasi-totalité les habitants à l’année des auberges de l’Ange Gardien et du Général Reconnaissant, l’une et l’autre situées à proximité du puits empoisonné, ainsi que le vieux général-comte Dourakine, plus bedonnant et congestionné que jamais, venu imprudemment, quoiqu'amicalement, souper en famille chez ses anciens protégés Elfy et Moutier. La nécrologie du vieux général publiée à cette occasion évoqua un drame alimentaire sans autre précision. Pour ce qui est de ses nièce et petite-nièce, Natalia Dabrovine et Natacha, depuis peu princesse Parjarski, elles virent réduites à néant les rêves d’héritages patiemment caressées des années durant : légitimes bénéficiaires de la fortune de ce vieil oncle qu’elles avait toujours détesté sans se l’avouer vraiment, elles s’éteignirent, à quelque minute d’intervalle, un quart d’heure avant lui. Alexandre et Michel Dabrovine décédés, le surlendemain, des mêmes causes que leurs mère, sœur et grand-oncle, l’héritage Dourakine revint, en tout état de cause, aux huit enfants de la défunte Mme Papofski. Afin de conserver la totalité du magot, l’aînée, Sonushka, s’étant avisée de reprendre à son compte des procédés jadis expérimentés par feue sa mère, dénonça ses sept cadets et cadettes aux autorités russes comme catholiques fervents et nationalistes polonais. Tous les sept furent envoyés au Goulag sans procès préalable, et comme ils étaient, au moment des faits, âgés d’entre cinq et douze ans, aucun n’en revint jamais. L’heureuse Sonushka jouit longtemps des fruits de sa sextuple dénonciation abusive, mais, à l’instar de bon nombre de ses compatriotes d’origine aristocratique, ne parvint pas, en revanche, à négocier intelligemment le cap de la Révolution de 1917. Son château fut brûlé par les Rouges, et elle avec, preuve s’il en est que les salopes intégrales finissent toujours par payer la note tôt ou tard. Suffit d’attendre…

À suivre…

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